UN RAPPORT INCOMPLET
Amnesty International, l’organisation qui surveille et dénonce les violations des droits de l’homme partout dans le monde, vient de publier un rapport sur les limitations du droit de manifester, en France, au cours de différents mouvements sociaux, depuis 2018. Elle a comptabilisé les condamnations de plus de 40 000 personnes, en 2018 et 2019, « sur la base de lois vagues » fréquemment « utilisées pour restreindre illégalement les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression ». Le malaise qui survient à la lecture de cette vingtaine de pages et demeure, ne provient pas uniquement de la confirmation, certes par une organisation indépendante reconnue pour son sérieux, d’une réalité déjà documentée par ailleurs mais plus exactement de ce qui transparaît entre les lignes. Ce que dit le rapport. Sont principalement pointées du doigts trois textes qui restreignent de manière disproportionnée le droit à la liberté de réunion pacifique, votés entre 2018 et 2020 : La loi sur l’interdiction de la dissimulation du visage, jugée beaucoup trop générale. La loi sur l’outrage envers les personnes dépositaires de l’autorité publique pour appréhender des manifestants, selon « une définition très large, qui laisse une telle marge d’interprétation qu’il y a un risque d’arbitraire et d’abus. Ainsi, des personnes ont été poursuivies pour outrage pour avoir critiqué le gouvernement ou scandé des slogans ». L’article 431-1 du code pénal sur le délit de participation à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires, « formulation vague », qui permet, elle aussi, toutes les interprétations. Est également critiqué le recours massif à des obligations de contrôle judiciaire, qui reviennent dans les faits à priver les personne de leur droit de manifester pendant plusieurs mois. Jusque là, rien de nouveau.
Ce que le rapport ne dit pas.
En dénonçant un degré « anormal » de répression, Amnesty International ne remet nullement en cause la domination de l’État, ni sa légitimité sur le monopole de la violence. En effet, c’est toujours l’État qui définit le niveau tolérable d’expression populaire des colères sociales, selon ses propres critères. L’État impose son contrôle des luttes sociales dans le soucis de les rendre inefficaces, quitte à sacrifier ponctuellement un bout de réforme dans un soucis d’apaisement, lorsque la tension devient trop menaçante. Par leurs recommandations, les rapporteurs laissent très clairement entendre qu’il peut y avoir un niveau « acceptable » de contrôle des mouvements sociaux, qu’ils situent précisément dans le but d’empêcher « toute menace à l’ordre public ». En considérant comme légitime ce contrôle, en acceptant une limitation un droit d’expression et de la liberté de manifester à un niveau « raisonnable », ils condamnent de fait tout élan révolutionnaire. Ils condamnent à l’impuissance toutes contestations, souhaitant qu’elles puissent s’exprimer sans risque, mais tolérant une répression graduée et proportionnée. En se situant du seul point de vu du droit, ils adoptent donc la grille d’évaluation et de lecture de l’État, sans remettre, en aucun cas, en cause la légitimité de celui-ci et en consacrant sa supposée infaillibilité. Nous ne voulons pas d’un État qui réprime plus « humainement ». Non seulement l’État est faillible, mais il est un instrument de défense des dominations et des exploitations. Nous ne voulons pas d’État !